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L’affaire Depardieu: un énième reflet du harcèlement sexuel dans les médias français

By Calista Cellerier

February

Photo/Siebbi


Depuis quelques semaines, la France fait face à un énième scandale parmi les plus hauts placés, reflétant la dure réalité que les violences sexistes et sexuelles (VSS) ne font pas encore partie du passé. Le sexisme en France ne cesse d’augmenter. Selon les chiffres du Baromètre Sexisme 2023, 80% des femmes déclarent avoir été victime de sexisme et un tiers des Françaises ont vécu une situation de non-consentement. 23% des hommes considèrent qu’il faut de la violence pour se faire respecter. Aujourd’hui, on peut voir les conséquences de tels chiffres : une affaire de plus d’agression et de harcèlement sexuel qui indigne les foules, ou l’affaire Depardieu.


En 2020, le célèbre acteur français Gérard Depardieu était mis en examen après que la comédienne Charlotte Arnould l’accuse de viol. 3 ans après, l’affaire n’est pas résolue. Depardieu était donc déjà connu des services de police pour un comportement grave envers ses collègues quand 13 femmes l’accusent à leur tour de VSS. Dans une enquête de Mediapart, trois femmes se confient sur leur expérience avec l’auteur mais affirment ne pas avoir porté plainte, de peur de ne pas être prisent au sérieux. Au fur et à mesure, de plus en plus de femmes dénoncent les mêmes comportements: des gestes, des commentaires et des actes à caractères sexuels, non consentis et souvent par surprise. Le même mode opératoire se discerne, ce sont des maquilleuses, actrices ou figurantes qui sont visées par l’acteur. Sophie Marceau, actrice star du film La Boum, déclaré dans les colonnes de Paris Match: “Il ne s’en prenait pas aux grandes comédiennes, plutôt aux petites assistantes… La vulgarité et la provocation ont toujours été son fonds de commerce”. De plus, lors d’un reportage de l'émission Complément d'enquête, il apparaît faisant des commentaires choquants et vulgaires sur des femmes et petites filles. Or, Gérard Depardieu dément formellement ces accusations.


Pourtant,  il ne s’agit pas  de la première fois qu’un tel scandale éclate au sein des médias et du cinéma français. Gérard Depardieu est accusé de nombreuses fois de viol et d’agressions sexuelles au cours de sa carrière, notamment par la figurante Hélène Darras ou la journaliste espagnole Ruth Baza. Et il n’est pas le seul : il y a quelques années, la grande star de télévision Patrick Poivre d’Arvor (PPDA) est accusé par la journaliste Florence Porcel de viol, une affaire classée sans suite. Plus tard s’ajoutent avec son témoignage une vingtaine d’autre femmes, portant plainte pour viol, tentative de viol et agressions sexuelles. L'association MetooMédias se forme par la suite: c’est une lutte contre le pouvoir des stars françaises de la télévision. Et encore une fois, l’affaire est classée sans suite pour “insuffisance de preuves”. De nombreuses autres affaires peuvent être citées, comme Nicolas Hulot ou Roman Polanski, qui a reçu un oscar malgré ces accusations. 


Car oui, la plupart de ces affaires aboutissent à peu ou même aucune conséquences judiciaires. En effet, les accusations de Charlotte Arnould sont classées sans suite pour manque de preuves. Hélène Darras, qui accusa Depardieu en 2023 de viol et agressions sexuelles lorsqu’elle était figurante dans le film Disco en 2007, voit aussi son dossier classé pour prescription des faits. C’est le cas pour de nombreuses autres accusations contre l’acteur, qui actuellement  reste en mise en examen pour viol dans le cadre de l’enquête de Mediapart. Il est libre d’aller et venir à sa guise, sans réelles conséquences pour l’instant. D’ailleurs, il est aperçu à Dubaï, à Lisbonne, en Belgique… selon de nombreux médias français, comme le Journal des Femmes. Il est en réalité assez courant que les hommes célèbres accusés de VSS s’en sortent sans grande difficulté. Usant de ripostes telles que la présomption d'innocence, la diffamation ou la conquête médiatique de l’opinion, ils se défendent en étalant “leur propre vérité et version des faits”. C’est la stratégie de base dans ces situations: aussi utilisée par Nicolas Hulot ou PPDA, qui eux non plus de semblent pas inquiétés par la justice mise à part des pertes de contrats et une image publique controversée. C’est d’autant plus le cas quand ces hommes bénéficient d’un capital social et financier considérable, obtenant le soutien d’autres célébrités.


Ce soutien devient crucial pour ces célébrités, car il est leur dernier moyen de conserver leur position dans la société. Si l’on bénéficie du support des figures les plus hautes de la hiérarchie sociale, il devient alors facile d’ignorer de telles accusations et de continuer à vivre sans conséquences sociales, surtout s’il n’y a pas de répercussions  judiciaires non plus. C’est ce qui s’est passé pour Depardieu des suites de Complément d'enquête et de Mediapart. Dans une tribune publiée par Le Figaro le 25 décembre 2023, une cinquantaine de célébrités, dont des réalisateurs, acteurs et actrices, chanteurs et autres personnalités dénoncent un “lynchage” de l’acteur et un mépris de la présomption d’innocence. Et ce, bien après la publication des nombreuses vidéos affichant Depardieu faisant des commentaires vulgaires à caractère sexuels sur des femmes et petites filles dans Complément d'enquête. Cependant, cette vague de soutien ne s'arrête pas là, car le président Emmanuel Macron déclare sur France 5 le mercredi 20 décembre que Depardieu est une “fierté pour la France” et affirme être un “grand admirateur” de l’acteur. Macron dénonce une “chasse à l'homme” et remet en question l'authenticité des images présentées par Mediapart


En revanche, tout le monde ne continue pas de soutenir Depardieu. L’ancien président français François Hollande déclare dans sur France Inter: “Nous, nous ne sommes pas fiers de Gérard Depardieu”. Il critique ouvertement Emmanuel Macron: “[Macron] a parlé de Gérard Depardieu, de son talent, et de la présomption d’innocence. Moi, je vais vous parler des quatorze femmes agressées, des femmes humiliées, des femmes bouleversées par les images qu’elles ont vues, de toutes ces femmes qui voient à travers Gérard Depardieu ce que peut être la violence, la domination, le mépris.” Depardieu a été radié de l’Ordre National du Québec et a perdu son titre de citoyen d’honneur en Belgique. Sa statue a aussi été retirée du Musée Grévin à Paris. De nombreuses associations se sont saisies de l’affaire, comme MetooMédias. En effet, une lettre ouverte publiée peu après les faits dénonce les propos de Macron ainsi que l’absence de soutien aux victimes: “Monsieur le président, vos paroles dénient à toutes les femmes victimes de violence le droit à être entendues et crues.”


Cette association faisait déjà beaucoup de bruit lors du scandale de PPDA, et ne semble pas vouloir se démonter aujourd’hui non plus. 


Le cas de Gérard Depardieu n’est donc ni une affaire isolée, ni une affaire résolue. Que ce soit le gouvernement, la justice ou la communauté de célébrités en France, personne ne semble prendre au sérieux les accusations des victimes de l’acteur. Si nombre d’associations et figures publiques travaillent dur pour faire entendre la voix de ces femmes dans ce genre de situation, les efforts n’aboutissent pas souvent à de vraies poursuites judiciaires et de conséquences concrètes. Ainsi, ne laissons pas ces efforts tomber dans l’oubli, et continuons d’en parler, de se mobiliser et surtout de se soutenir, à travers des associations, des journaux, des actions. 


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