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La cause palestinienne, un nouveau souffle pour le panarabisme?

Christy Ghosn

March

Une vidéo générée par IA, publiée sur le compte Instagram du président américain, dépeint une bande de Gaza transformée en une « Riviera du Moyen-Orient. » Gratte-ciels, plages de sable, statue en or de Donald Trump, cette vision dystopique a suscité de fortes réactions au sein du monde arabe. La vidéo, postée sur Truth Social et Instagram, illustre ce que pourrait devenir Gaza sous contrôle américain—idée évoquée par Trump au début du mois de février.

Lors d'une conférence de presse conjointe avec le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, Trump avait choqué le monde en déclarant: « Nous nivellerons les lieux et nous débarrasserons des bâtiments détruits. Puis nous allons relancer le développement économique, qui fournira un nombre illimité d’emplois et de logements pour les habitants de la région. » Face à cette proposition, les États arabes se sont unis pour exprimer leur désaccord, réveillant un fort nationalisme arabe ancré dans la cause palestinienne. Le sommet arabe du 4 mars dernier au Caire symbolise cette solidarité. Pourtant, malgré cette montée du sentiment panarabe, la réalité semble marquée par un nationalisme territorial grandissant, reléguant progressivement l’engagement collectif au second plan. De cette manière, bien que le soutien affiché aux Palestiniens demeure, son expression concrète s’affaiblit, laissant entrevoir une forme d’abandon progressif.


Le nationalisme arabe (La Qawmiyya en arabe) repose sur l'idée d'unité et d'intérêts communs parmi les peuples arabes. Émergeant au début du XXe siècle comme un mouvement d'opposition dans les provinces arabes de l'Empire ottoman, il s'est notamment développé dans l'entre-deux-guerres, avec des figures comme Sati' al-Husri  ou encore Michel Aflaq. Bien que cette idéologie n'ait pas réussi à créer un État arabe unifié, son idéologie a laissé un héritage durable en tant que sentiment d'appartenance à un même peuple. Comme l’écrit Youssef Choueiri: « [Aflaq] insista de nombreuses fois sur le fait que ce qu’il avait à dire était plus un point de vue [nadhra] qu’un système [nadhariyya]. Ce nationalisme arabe, profondément enraciné dans la cause palestinienne, a trouvé en cette lutte un puissant catalyseur pour unifier les peuples arabes. Par exemple, lorsque les Palestiniens se sont soulevés contre l'occupation et la création de l'État d'Israël, des figures comme Gamal Abdel Nasser ont su exploiter cette cause pour rallier les masses arabes, en présentant Israël comme une « citadelle de l'impérialisme. »


De nombreux sommets de la Ligue arabe ont également joué un rôle crucial dans l'histoire de la cause palestinienne. En 1964 par exemple, le Conseil National Palestinien a été créé lors d'un sommet, marquant le début d'une représentation officielle pour le peuple palestinien sur la scène internationale. Dix ans plus tard, en 1974, un autre sommet a reconnu l'OLP comme le seul représentant légitime du peuple palestinien, renforçant ainsi son poids diplomatique dans les négociations de paix qui ont conduit aux Accords d'Oslo.


La Wataniya  (ou nationalisme territorial), de son côté, se concentre plus sur l'identité nationale au sein des frontières étatiques existantes. Il semblerait que ces deux formes de nationalisme coexistent souvent, créant un paradoxe où une identité nationale forte côtoie une identité arabe partagée. Leyla Dakhli, historienne tunisienne, explique ce paradoxe en affirmant que malgré les divisions entre et au sein des pays arabes, le nationalisme arabe s’est appuyé sur une culture populaire, diffuse, afin de le transmuer en « culture officielle. »


Le sentiment d’appartenance au sein des Etats arabes se manifeste aujourd’hui depuis le 7 octobre 2023, les peuples et les États arabes affichant un soutien unifié à la Palestine. De Tunis à Amman, en passant par Le Caire, de nombreuses manifestations de solidarité ont eu lieu, soutenues par des déclarations des chefs d'État arabes. 


Le 4 mars dernier, lors du Sommet arabe qui s’est déroulé au Caire, les dirigeants des États arabes ont adopté un plan de 53 milliards de dollars sur cinq ans pour la reconstruction de la bande de Gaza, rejetant unanimement le plan de Donald Trump visant à déplacer les habitants de Gaza. Le président libanais a affirmé qu'il n'y aurait pas de paix sans la libération totale du territoire et la restitution des droits légitimes des Palestiniens. Aoun a souligné que la souveraineté complète et stable du Liban est intrinsèquement liée au rétablissement total de la Syrie et à l'indépendance de la Palestine: « le Liban retrouve aujourd'hui sa légitimité arabe » grâce au soutien constant de ses alliés, affirme t-il, mettant en lumière l'interdépendance des luttes arabes. Selon lui, la véritable indépendance et la légitimité du Liban ne peuvent ainsi être atteintes que dans le cadre d'une unité arabe renforcée.


Cependant, malgré un engagement historique en faveur de la cause palestinienne, l'implication des pays arabes semble diminuer au fil du temps. Lors du Sommet de Khartoum en 1967, les pays arabes avaient adopté une position ferme, refusant toute reconnaissance d’Israël. Pourtant, plusieurs pays ont aujourd'hui normalisé leurs relations avec Israël. L'identité palestinienne se distingue progressivement de l'arabité régionale, devenant une identité nationale propre. Selon Elias Sanbar dans Figures du Palestinien, les Palestiniens ne sont plus simplement des habitants d'une terre arabe, mais un peuple avec une identité distincte. Il affirme qu’ils sont même délaissés par leurs frères arabes, qui sont « pour la cause palestinienne,  mais contre les Palestiniens. »: alors que les régimes arabes ont soutenu la cause palestinienne comme un enjeu politique contre Israël, ils ont souvent marginalisé les Palestiniens eux-mêmes, par crainte de déstabilisation interne et pour préserver leurs intérêts nationaux. 


Néanmoins, le Sommet arabe du 4 mars semblerait révéler une exception à une longue période de quasi-désengagement. Ce rassemblement pourrait-il marquer une réaffirmation de la solidarité arabe et un regain d'intérêt pour les aspirations nationales palestiniennes? Le plan adopté pourrait en effet, potentiellement, révéler un retour de la lutte des pays arabes pour la cause palestinienne.

Les réseaux sociaux et les médias comme Al-Jazeera ont à leur tour favorisé cette ré-émergence d'un sentiment d'appartenance parmi les peuples arabes. Selon Benjamin Stora, « des gens entrent en contact les uns avec les autres et se comprennent par le biais d’une langue arabe renouvelée, standardisée. Une langue qui peut être comprise du Maroc jusqu’aux Émirats, contredisant les versions distinctes, séparées, opposées des langues nationales arabes. Les moyens technologiques modernes favorisent un néo-nationalisme arabe. L’idée du nationalisme arabe reste à l’ordre du jour. »


Dans ce contexte, la position américaine reste cruciale dans la résolution du conflit israélo-palestinien. Marie-Joëlle Zahar souligne que l'avenir d'un plan arabe crédible dépendra en grande partie des intentions de l'État israélien et du soutien américain. Au-delà de l'humanitaire, « ce sont des enjeux profondément politiques, ». L’enjeu est « la manière dont on résout les conflits, ce qui est acceptable et ne l’est pas, c'est la valeur du droit international. » « Si ce plan n'est pas au moins considéré par les États-Unis, la situation pourrait être critique, » a-t-elle poursuivi. Ainsi, si la cause palestinienne continue de fédérer un certain nationalisme arabe, son expression politique et concrète s’effrite face aux dynamiques nationales et aux réalités  géopolitiques. Dans ce contexte, la position américaine demeure déterminante : sans une prise en compte sérieuse par Washington, toute initiative arabe risque de rester symbolique, accentuant l’isolement progressif des Palestiniens.


Photo source: Ramy Raoof on flickr

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