Margarita Kopsia
October
Les sondages réalisés par CNN Business révèlent que « 77% des travailleurs aux États-Unis » seraient en faveur de la semaine de quatre jours, convaincus que cela aurait un effet positif sur leur bien-être. Les expérimentations sur la four-day workweek se multiplient alors à travers le monde, portant avec elles l’espoir d’un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle et promettant de meilleures performances économiques. Traversant les pays, les secteurs économiques, les entreprises et les employés. Elles réunissent également tous ces acteurs autour d’une même préoccupation: celle de trouver des solutions plus efficaces pour atteindre un meilleur équilibre entre productivité et épanouissement personnel.
Ce renouvellement dans notre manière de penser et d’organiser le travail pousse alors des acteurs de plus en plus nombreux à donner une chance à la semaine de quatre jours. Ce mouvement ne fait pas pourtant l’unanimité et au mécontentement de nombreux, la Grèce a récemment tendu en faveur de la semaine de six jours dans le cadre de sa politique économique, afin de stimuler la croissance dans certains secteurs. Ainsi, le débat sur la durée et la fréquence qui sont censés caractériser la workweek « idéale » est bien là.
Mais qu’est-ce que le terme workweek est-il censé refléter et pourquoi parle-t-on de plus en plus ces dernières années de ses différentes variétés? La notion de workweek—signifiant littéralement “semaine de travail”—se réfère généralement au nombre d’heures ou de jours que l’individu moyen passe à travailler au cours d’une semaine. Ainsi, si la représentation que chacun peut avoir de la semaine « parfaite » varie fortement—entre temps consacré à travailler ou à s’épanouir individuellement—celle qui s’est historiquement, traditionnellement et culturellement imposée l’est beaucoup moins. En effet, la semaine de cinq jours, qui dure entre 30 et 39 heures environ dans l’Union européenne, constitue une réalité depuis de nombreuses générations déjà et semble avoir bien pris place dans nos habitudes à travers l’écrasante majorité des populations et des secteurs de travail. Mais suscitant curiosité, espoir ou incompréhension, la Belgique fut dès 2022 « le premier pays dans l’Union européenne—et le troisième seulement dans le monde, après l’Islande et la Nouvelle Zélande—à introduire formellement la four-day workweek comme une option pour ses travailleurs, » en augmentant le volume horaire de travail requis pour les quatre jours restants, qui passe alors de huit heures par jour à neuf heures et demi: « rendre les gens et les entreprises plus forts » est l'objectif affiché par le Premier ministre belge Alexander de Croo.
Le Royaume-Uni figure parmi les pionniers en expérimentation de la four-day workweek, dont le succès à même ouvert la voie à la rédaction du « Flexible Working Bill » censé entrer en vigueur en Juillet 2025. Ce projet de loi prévoit de laisser aux employés plus de liberté concernant leurs horaires et milieux de travail privilégiés, suite aux constats du CIPD dont les recherches ont montré que « 6% des employés ont changé d’emploi [en 2022] précisément par manque d’options de travail flexibles et que 12% parmi ces derniers ont quitté leur profession entièrement faute de flexibilité au sein du secteur. Cela représente 2 et 4 millions de travailleurs respectivement. » L’argument qui revient est comparable à celui des autres pays qui donnent une chance à la semaine de quatre jours, le ministre des Affaires et du Commerce Kevin Hollinrake affirmant qu’ « une force de travail plus heureuse signifie plus de productivité, et c’est pour cela que nous soutenons des mesures qui donnent aux travailleurs à travers le Royaume-Uni davantage de flexibilité quant à “où” et “quand” ils travaillent. »
Face au nombre grandissant d’entreprises, d’administrations publiques voire d’États qui semblent récemment remettre en question cette vision généralisée de ce qu’est une bonne workweek, conciliant efficacité, productivité et équilibre, le Japon prend position. Espérant « rendre les postes plus attractifs en passant de cinq à quatre jours hebdomadaires, » faire face au coût économique du vieillissement de la population ou même pour « lutter contre le burnout, » le Japon a récemment commencé à opter lui aussi en faveur de la semaine de quatre jours. Soucieux de préserver le bien-être de ses travailleurs, doper leur productivité mais aussi dans le but d’attirer plus de talents, c’est dans le cadre de sa « work style reform campaign » que le gouvernement japonais incite les entreprises à adopter une plus grande « flexibilité » quant aux horaires et jours travail qu’ils imposent à leurs employés.
Depuis l’année 2021 que le concept acquiert une certaine popularité parmi les rangs des grandes entreprises japonaises telles que Panasonic ou Hitachi, mais il peine étonnamment à s’imposer parmi les travailleurs eux-mêmes pour cause de la « workaholic culture » qui caractérise la société japonaise. Car en effet, travailler « moins »—même si cela peut se traduire à travailler « mieux »—peut être mal vu parmi des employés qui sont de plus en plus prêts à sacrifier du temps de leur vie privée pour leur vie de travail. Martin Schulz, économiste en chef chez Fujitsu, confie alors à CNBC que « faire partie d’une compagnie c’est presque comme faire partie d’une communauté, et cela résulte souvent en des heures de travail plus longues, qui ne sont pas forcément plus efficaces. » Ainsi, selon ce même article, seulement 150 parmi les 63 000 travailleurs éligibles chez Panasonic pour une telle flexibilité du travail ont finalement opté pour cela.
Nous sommes donc témoins aujourd'hui d’un mouvement international, mais divisé, en faveur de la semaine de quatre jours, à la lumière du nombre grandissant de pays qui multiplient les expérimentations et réglementations suivant cette nouvelle direction. Espérant concilier productivité et bien-être, l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle semble de plus en plus difficile à trouver au fur et à mesure qu’il est remis en question par ces différents pays, dont les semaines de travail deviennent plus courtes et plus denses.
S’écarter de la semaine de quatre jours: le cas de la Grèce avec la nouvelle loi 5053/23
Le chemin qui est emprunté par la Grèce à ce niveau est différent et la solution qui se présente depuis Juillet 2024 pour « stimuler l’emploi » implique contrairement une hausse du temps de travail hebdomadaire: la semaine de 48 heures pourrait devenir une réalité pour de nombreux employés. Cette nouvelle législation concerne les entreprises qui « fournissent des services [de type] 24/7 ou celles qui font face à une charge de travail extraordinaire, » qui auront la possibilité « d’imposer une semaine de travail de six jours à leurs employés. » Le secteur touristique, caractérisé par des rythmes intenses et par des journées longues pour les salariés, n’est donc généralement pas concerné par la législation selon le journal Ekathimerini. Le compromis pour ceux qui le sont? Une « hausse de leur salaire de 40% » pour ce jour supplémentaire, voire de 115% s’il s’agit d’un dimanche.
Décalage par rapport à d'autres pays européens, ou plutôt outil de rattrapage privilégié? De tels questionnements traversent la société grecque et alimentent la controverse, sachant que la Grèce figure déjà selon Eurostat parmi les pays de l’Union européenne avec la semaine de travail la plus longue, affichant une moyenne de 39,9 heures de travail hebdomadaires en 2023. L’explication qui est mise en avant par les économistes est que « le plus grand problème de l’économie grecque est la productivité des heures de travail, » le pays affichant une efficacité moins importante par rapport à la moyenne européenne. D’autres facteurs tels que la « baisse de la population » ou la « la pénurie de travailleurs qualifiés » —tous deux liés à « l'exode » de millions de jeunes qualifiés depuis la crise économique de 2009—accentuent également les enjeux qui ont abouti à cet élargissement de la semaine de travail pour les secteurs en question. Ces facteurs feraient-ils de cette nouvelle législation une mesure impopulaire mais nécessaire?
Espérant soulager ces maux mais aussi affronter les problèmes liés au versement des salaires des employés et ceux de l'exercice de travail « non déclaré, » la mesure excède une dimension purement économique pour le gouvernement qui souhaite d’en faire également une mesure qui soit « worker-friendly. » Les modalités de l'exercice de ce jour de travail supplémentaire sont ainsi régies par différentes réglementations et la limite de travail journalier pour ce sixième jour est fixée à 8 heures, les employeurs étant dans l’obligation de respecter ce seuil et ne pouvant imposer à leurs salariés des tâches ou des horaires qui nécessiteraient de s’en écarter. Malgré ce souci affiché pour le respect des droits des employés concernés par ces changements, la nouvelle loi fait face à une impopularité accrue, étant même qualifiée comme « barbare » par les syndicats dans le cadre de manifestations pendant le mois de Juillet qui y dénoncent une approche contre-productive, ne faisant qu’accentuer des problèmes existants.
Aussi éclaircissant que cela puisse être de continuer de s’interroger sur ce qui fait la force ou la faiblesse de ces différentes workweeks, entre semaines de quatre jours ou semaines de six jours, demandons-nous également comment en est-on arrivés là. Pourquoi la semaine de cinq jours a-t-elle fini par s’imposer comme le modèle dominant d’organisation du travail?
Visions, pensées et représentations de la semaine travail à travers le temps et l’espace
Mis à part toutes ces différentes controverses et mouvements opposés, le débat sur les workweeks s’opère généralement sur un même fond commun, qui est celui de la semaine de cinq jours. Cette dernière est largement partagée par la grande majorité des pays du monde et traverse les sociétés et les époques. Ainsi, le concept aurait même constitué une réalité sous une autre forme durant la dynastie Han en Chine, durant laquelle les « fonctionnaires avaient le droit de prendre un jour de repos tous les 5 jours » selon Lien-sheng Yang dans Schedules of Work and Rest in Imperial China. Il est ainsi possible de retracer plusieurs origines à la notion de la semaine de cinq jours. Parmi les moments de l’histoire qui ont participé à son façonnement, nous relevons par exemple la contribution fondamentale de Henry Ford qui aurait « dit à ses employés qu’il mettait en place une semaine de 5 jours et de 40 heures [...]. »
Les « revendications syndicales » auraient également joué un rôle essentiel dans la mise en place des principes constitutifs de la semaine de 5 jours dans le cadre des « nombreuses luttes sociales dès les années 1830 »—époque où « on travaille quinze à dix-sept heures par jour » et où on s’engage déjà à réduire les journées à 12 heures par jour. Ce seuil diminue progressivement au fil du temps et c’est en 1982 que « la durée légale du travail passe à 39 heures par semaine, sans perte de salaire » en France. Aujourd’hui, « la durée légale du temps de travail est fixé à 35 heures par semaine à temps complet » en France, et le site web officiel de l’Union européen écrit qu’ « en tant qu'employeur, vous devez veiller à ce que votre personnel ne travaille pas plus de 48 heures par semaine en moyenne (heures supplémentaires comprises). »
En ces temps de mutation profonde du monde du travail, la controverse portant sur la forme que doit prendre une bonne workweek anime les gouvernements et les sociétés. Décriées ou célébrées, les tentatives actuelles pour réformer la semaine de travail traditionnelle se multiplient à travers le monde et nous incitent à repenser notre rapport à la production et à l’emploi. Voir clair dans ce débat est un exercice subtil, à la lumière duquel il n’existe finalement pas de réponse unique et universelle. Mais plus important encore que de s’attarder au cas par cas et de critiquer ces différents modèles, il ne faut perdre de vue l’objectif ultime vers lequel on espère se rapprocher: celui d’un monde professionnel conciliant efficacité, équilibre et respect. Dévier du modèle traditionnel de la semaine des cinq jours ne pourrait correspondre en fin de compte que d’une nouvelle occasion pour nous à revisiter nos pratiques et les interroger pour les améliorer.