Margarita Kopsia
September
Entre readings, examens et deadlines de toutes sortes, la vie courante des science pistes mentonnais, soucieux de mieux comprendre le monde méditerannéen et moyen-oriental, peut parfois s’apparenter à un flot continu d’aventures et de responsabilités. Si c’est précisément au sein de cette expérience singulière du temps où réside toute la beauté de la vie mentonnaise, force est de constater qu’une approche plus équilibrée de notre quotidien nous serait fort bénéfique et ne ferait qu’embellir ce ravissant trajet. Vivant le monde méditerranéen tous les jours, à travers nos travaux, nos lectures et nos expériences personnelles sur la riviera française, il serait bien temps pour nous de le goûter aussi. Intéressons-nous aux modes d’alimentation qui sont propres à la Méditerranée et surtout à la manière dont ces principes ont pris forme dans l’espace et dans le temps, reflétant les valeurs et les idéaux véritablement méditerranéens.
Qu’est-ce qui fait du régime ou de la diète méditerranéens un mode d’alimentation et d’existence qui mérite d'en parler, si ce n’est d’éventuellement en emprunter certains aspects? Capables de nous inciter à adopter une posture plus harmonieuse vis-à-vis de nos études et de notre quotidien, ces derniers sèment la voie pour une réflexion que nous nous devons à nous-mêmes: comment pouvons-nous tirer profit des ressources dont il est possible de bénéficier ici à Menton, ville qui ouvre sur le bassin méditerannéen et qui est caractérisée par un climat qui lui est propre? Mais, avant d’attaquer tous ces différents points et avant de tenter de discerner ce lien subtil qui peut exister entre ces deux modes de consommation, entre consommation alimentaire et consommation de la vie, il faut s’efforcer de comprendre ce que signifie réellement la notion de « régime méditerranéen » : qu’est-ce qui fait la spécificité et l’intérêt de la diète méditerranéenne?
La diète méditerranéenne: une approche singulière à la tradition, à l’histoire et à la culture
S’il s’avère que les concepts de régime méditerranéen ou de diète méditerranéenne ne furent eux-mêmes inventés que dans les années 1960 et 1970, ces derniers puisent leurs origines dans des habitudes et des traditions qui remontent bien plus loin dans le temps. Ainsi, parler de régime méditerannéen ou de diète méditerranéenne semble être une affaire relativement contemporaine, ne datant que de quelques décennies, c’est pourquoi il faudrait plutôt s’intéresser à l’histoire et aux principes de l'alimentation méditerranéenne, qui nécessite de changer entièrement d’échelle pour parler en fonction de siècles, voire de millénaires. Entre ses débuts, ses nombreuses redécouvertes et évolutions jusqu’à sa théorisation et sa conceptualisation, l’alimentation méditerranéenne rassemble en elle et à travers le long chemin qu’elle a parcouru la grande majorité des éléments qui caractérisent aujourd’hui ce qui est plus largement désigné comme la « culture » et le mode de vie méditerranéens, dans une optique visant à dépasser les différences entre pays et cherchant précisément à en faire des entités comparables, voire similaires, sur certains points.
Ainsi, il n’est possible de parler du régime et de l’alimentation méditerranéens sans faire allusion au rôle déterminant des acteurs qui ont cherché à en acquérir une meilleure connaissance et qui ont examiné leur efficacité, de sorte à avoir éventuellement engendré leur adoption par des populations de plus en plus nombreuses et différentes. Ancel Keys, surnommé « Mister huile d’olive » et « pionnier de la recherche nutritionnelle moderne » selon les auteurs de l’article Histoire de l’alimentation méditerranéenne, participa alors de manière décisive à la redécouverte de l’alimentation méditerranéenne et à « l’invention » du régime méditerannéen. Le terme qui fut alors employé pour caractériser ce mode d’alimentation fut la « Mediterranean Diet », la notion de « régime » (diet) étant ici comprise en fonction de ces racines étymologiques pour se référer directement à un ensemble d’habitudes bien ancrées dans les mœurs et dans le temps, conformément à l’origine grecque du mot diaita signifiant « way of life ». Cela nous incite alors à détourner notre attention d’une vision erronée du régime méditerrannén qui serait associée à l’idée de la restriction alimentaire, pour insister directement sur ce qui fait son cœur et sa force, c’est-à-dire le fait qu’il ne soit en fin de compte que le partage de certains motifs répétitifs bien précis, promœuvant la santé et le bien-être général, résistant aux frontières géographiques et incarnant les valeurs du dialogue et de la convivialité. En effet, le régime méditerannéen pourrait et devrait être compris à la lumière du « climat », des « festivals » et des « célébrations » à travers lesquels il se manifeste et qui permettent aux valeurs de la « transmission intergénérationnelle et interculturelle » de prendre forme.
Il n’est également possible de traiter de la diète ou du régime méditerranéens dans leur ensemble sans commenter les résultats de la Seven Countries Study, c’est-à-dire l’enquête menée par A. Keys depuis 1957 sur sept pays différents (les États-Unis, l’Italie, la Grèce, la Finlande, les pays qui à l’époque constituaient la Yougoslavie, les Pays-Bas et le Japon), qui s’était fixée pour objectif d’établir une corrélation entre la santé cardiovasculaire, la résistance aux maladies et le mode de vie et d’alimentation. Nous pouvons en effet supposer que cette étude, ayant mis en évidence l’importance de consommer des céréales complètes, des fruits et légumes en abondance et à limiter la consommation de produits transformés et ceux riches en graisses et en sucres, a eu une certaine incidence sur la composition des différents modèles de nutrition qui lui ont succédé, tels que la fameuse pyramide alimentaire qui est elle-même censée refléter un équilibre nutritionnel quasi-parfait.
C’est en 2013 que la « diète méditerranéenne » fut inscrite sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO et qu’elle est officiellement définie comme « un ensemble de savoir-faire, de connaissances, de rituels, de symboliques et de traditions qui concernent les cultures, les récoltes, la cueillette, la pêche, l’élevage, la conservation, la transformation, la cuisson et, tout particulièrement, la façon de partager la table et de consommer les aliments. », selon le site officiel de l’UNESCO pour le patrimoine culturel immatériel. Ce n’est pas un hasard: vous l’aurez compris, la diète méditerranéenne constitue bien le reflet d’une approche singulière à la tradition, à l’histoire et à la culture, qui mérite d’être protégée et célébrée. De ce fait, nous lisons qu’ « elle joue un rôle important dans les espaces culturels, les fêtes et les célébrations en rassemblant des populations de tous âges, classes et conditions. »
Un regard de plus près sur le lien fondamental entre équilibre et nutrition
Mis à part tous ces attributs exceptionnels du régime méditerannéen, « présenté comme un bouclier contre la “westernisation” de l’alimentation, et comme un outil majeur de prévention », il faudrait également comprendre qu’un tel rapport à la nourriture, marqué par le respect et la qualité, peut avoir des répercussions directes sur notre bien-être général. Ainsi, il est tout à fait possible de tisser des liens entre cette approche alternative à la nourriture et différentes philosophies de vie, telles que celles issues de la Grèce antique. Cette dernière constitue d’ailleurs le berceau de l’alimentation méditerranéenne, sachant que « le style alimentaire méditerranéen s’est très vite cristallisé autour de la triade fondamentale du pain, de l’olivier et de la vigne. »
Ainsi, l’éthique épicurienne, qui peut être résumée comme la sagesse qui « consiste à vivre au présent [...] et à atteindre le bonheur en recherchant à satisfaire les désirs naturels et nécessaires [...] de façon à éprouver les plaisirs stables que procure une vie saine, » semble être tout à fait adaptée à un style de vie et d’alimentation qui cherche à concilier le plaisir de bien vivre avec celui de bien manger, d’autant plus que la richesse des goûts et des couleurs qui caractérisent la diète méditerranéenne figure parmi ses plus grandes forces.
Mener une vie saine et équilibrée passe aussi par un rapport plus harmonieux à notre environnement: nous constatons alors que de plus en plus d’études n’hésitent pas à faire allusion aux bienfaits environnementaux de la diète méditerranéenne, en expliquant en quoi il est possible de voir dans ce mode de production et de consommation de la nourriture des pratiques prometteuses et plus durables. En effet, l’alimentation méditerranéenne est censée privilégier la production locale, dans le respect de la terre et des ressources qu’elle a à offrir. Ainsi, mener une vie plus équilibrée, c’est aussi assumer une plus grande responsabilité dans notre rôle dans la crise climatique et écologique actuelle, en revisitant des pratiques qui rappellent l’importance de bien produire et de bien consommer. D’ailleurs, c’est dans l’article « Underrated aspects of a true Mediterranean diet: understanding traditional features for worldwide application of a “ Planeterranean ” diet » que ce régime devient un régime « planétaire », en promouvant « une approche respectueuse de l’environnement, contrôlée et inspirée par des procédures plus anciennes et traditionnelles [...]. ».
S’il semble qu’aujourd’hui nous soyons de plus en plus réduits en consommateurs cherchant à maximiser leur plaisir individuel et à en tirer profit, essayons du moins à en devenir une meilleure sorte. Engageons-nous en faveur d’idées et de pratiques qui nous permettent d’être plus respectueux envers nous-mêmes, envers les autres et envers l’environnement. Atteignons un meilleur équilibre tant dans nos assiettes que dans nos vies.