Anna Halpern
September
On parle souvent de héros de guerre et de ceux qui ont changé la perception que nous en avons, mais il est beaucoup plus rare de parler des héroïnes. Je pense tout spécifiquement aux femmes journalistes, correspondantes de guerre et photojournalistes qui se sont battues pour l'accès des femmes aux zones de guerre, dont le travail a été historique, mais dont la reconnaissance est cruellement manquante. Malgré leurs participations historiques, elles se sont bien souvent retrouvées face à des systèmes qui les opprimaient au point de les punir pour avoir fait leur travail. Nous avons la chance que des femmes telles qu’elles nous aient ouvert le chemin, et il est grand temps que nous leur rendions justice. Il semble donc important d’introduir ici quelques figures qui ont marqué l’histoire et qui représentent parfaitement le courage et l’audace nécessaires au changement.
Quand on parle de photojournalisme au feminin, un tournant clé est la Seconde Guerre Mondiale. En effet, les périples des femmes photojournalistes de l'époque sont emblématiques des obstacles sociétaux qu’elles ont dû affronter afin de s’octroyer l'accès à un métier encore presque entièrement masculin. Les femmes journalistes ont même explicitement été interdites d'accès au débarquement le 6 juin. Entre autres obstacles, les femmes se sont heurtées à ce que rapporte Denis Ruellan: « L'armée assurait que les soldats seraient 'perturbés' par la présence des femmes reporters, ce qui revenait à les sexualiser. » Dans ce contexte, les exploits des femmes telles que Martha Gellhorn et Lee Carson sont d’autant plus remarquables.
Les deux femmes ont défié le sexisme de l'époque et surtout celui ancré dans l'armée. En effet, Martha Gellhorn a dû se faire passer pour une infirmière de la Croix Rouge et se cacher dans les toilettes pour pouvoir assister au débarquement sur Omaha beach en se déguisant en brancardier. De son côté Lee Carson a réussi à convaincre le pilote d’un bombardier de la faire survoler le débarquement, car son dévouement à son travail et à couvrir les informations lui importait plus que le risque de défier SHEAF (acronyme communément utilisé pour designer le Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force). Ces deux femmes, dont la dévotion à leur travail leur a permis de prendre des photos historiques et de partager à travers le monde la perspective des femmes sur l’un des événements les plus marquants de leur temps, ont toutes deux subi des conséquences coûteuses à leur désobéissance. À leur retour les deux sont convoquées par SHAEF: Gellhorn se retrouve interdite de retourner en Normandie, et Carson s’enfuit sachant les conséquences que ses actes peuvent lui coûter. Bien qu’elles aient fait un travail extraordinaire, l'histoire les a lésées en les condamnant à l'oubli ou à un rôle secondaire derrière leurs maris.
Ces femmes ne sont pas seules. Nombre de femmes ont couvert les événements historiques de leur époque, certaines étant même les seules à le faire. Il est notamment important de mentionner Margaret Bourke-White qui était la seule photographe étrangère à Moscou quand l’Allemagne a brisé le pacte de non-agression en juin 1941, ainsi que la premiere femme journaliste de guerre connue. Elle a permis d’ouvrir la voie aux consoeurs qui l’ont suivie. Plus que de participer à une discipline dont les normes et pratiques étaient pour et par les hommes, les femmes ont grandement contribué à changer la discipline du photojournalisme en rapportant de manière très humaine l'impact de la guerre sur la vie des gens et la dévastation qui en suit. Ceci a été la vocation de photojournalistes telles que Catherine Leroy et Lee Miller qui ont fait de leurs carrières de photographes un moyen de capturer la vie quotidienne et la douleur réelle que la guerre fait subir à la population impactée. Cet effort est notamment visible dans le travail de Leroy lors de son incorporation au sein de la 173ème unité Airborne pendant la guerre au Vietnam, durant laquelle elle a capturé la vie des soldats et civils impactés par ce conflit. Elle est grièvement blessée en mai 1967 et brièvement retenue prisonnière par des soldats Nord-Vietnamiens en 1968, mais cela ne la brise pas, au contraire, elle en ressort avec un entretien exclusif qui fait la couverture de Life.
Ces femmes ont marqué l’histoire par leur bravoure et leur perspective unique; elles méritent la reconnaissance au même titre que leurs collègues masculins. Aujourd’hui, bien que certains s’efforcent de les mettre en avant, nous sommes encore bien loin de les reconnaître à leur juste valeur. Mais il est possible à chacun de le faire à son échelle, et cela commence par rechercher activement le travail des femmes et le mettre en avant par nous mêmes sans se contenter des récits dominants encore trop sexistes. Pour finir, je vous invite donc à approfondir vos connaissances sur ces femmes journalistes et photojournalistes de guerre à qui nous devons tant et qui méritent d'être connues et reconnues à leur juste valeur, non seulement celles qui nous ont tracé le chemin, mais celles qui continuent de l’emprunter de nos jours.