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Le traitement des prisonniers après la guerre dans le Haut-Karabagh (2023)

Maxime Gallant for Amnesty Sciences Po Menton

February

Le 18 janvier 2024 s'est ouvert en Azerbaïdjan le procès des huit anciens dirigeants arméniens du Haut-Karabagh. Ils ont été capturés en septembre 2023, après l’offensive éclair de l’Azerbaïdjan qui a conduit à la dissolution de la République autoproclamée du Haut-Karabagh.


Faisons d’abord un petit résumé historique. Pour comprendre le conflit qui a éclaté en 2023, il faut remonter plus de cent ans en arrière. A cette époque, plus précisément en 1920, la région du Haut-Karabagh, disputée entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, est annexée par l’URSS, tout comme les deux pays, qui deviennent des républiques socialistes soviétiques. Le Comité central du parti bolchévik, sous la direction de Joseph Staline, décide en 1921 de rattacher la région du Haut-Karabagh à la RSS d’Azerbaïdjan, tout en lui octroyant une large autonomie régionale. Cet oblast autonome du Haut-Karabagh est alors peuplé par 94% d’arméniens. La situation reste gelée jusqu’à la fin des années 1980.


En 1988, avec la montée des nationalismes en URSS, les députés du Haut-Karabagh s’autoproclament République socialiste soviétique à part entière. Des violences éclatent alors en Arménie comme en Azerbaïdjan, se transformant bientôt en un conflit armé entre les deux républiques. La guerre connaît une nouvelle ampleur avec l’indépendance des anciennes république soviétiques à l’été 1991 et la proclamation d’indépendance de la République d’Artsakh, lenom arménien du Haut-Karabagh, le 2 septembre 1991, non reconnue par la communauté internationale. En 1993, le conflit a causé plus de 30 000 morts, avec des centaines de milliers de réfugiés de chaque côté. Après six ans de conflit, un cessez-le-feu est signé entre l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la République d’Artsakh, qui contrôle alors l’ancien oblast autonome du Haut-Karabagh, mais aussi les sept districts azerbaïdjanais entourant l’enclave. Après le cessez-le-feu, 800 000 azéris sont chassés du Haut-Karabagh, et 400 000 arméniens expulsés d’Azerbaïdjan.


Des violations du cessez-le-feu ont fréquemment lieu à la frontière, mais elles n’escaladent jamais en conflit majeur jusqu’en 2020. Le 27 septembre 2020, une nouvelle guerre éclate, durant laquelle l’Azerbaïdjan prend le contrôle de tous les territoires occupés et d’un tiers du Haut-Karabagh. Un cessez-le-feu est signé le 10 novembre 2020 entre l’Azerbaïdjan, l’Arménie et la Russie qui se place en médiateur du conflit, après 44 jours de combats et plus de 6 500 morts selon les autorités.


En décembre 2022, les autorités azerbaïdjanaises procèdent à un blocus du corridor de Latchine, seule route reliant l’Arménie et le territoire de la République d’Artsakh, empêchant toute nourriture, carburant et aide humanitaire de la Croix-Rouge d’arriver au Haut-Karabakh, isolant les 120 000 habitants de la région. Ce blocus dure jusqu’au 19 septembre 2023, quand l’Azerbaïdjan lance une offensive éclair sur le Haut-Karabagh. Les forces de l’Artsakh capitulent au bout de 24h, entraînant la dissolution de la République et le rattachement de la région à l’Azerbaïdjan. Cet événement déclenche un exode massif de plus de 100 000 réfugiés arméniens du Haut-Karabagh vers l’Arménie, soit la quasi-totalité de la population de la région. Selon un rapport des Nations Unies publié le 2 octobres 2023, il y resterait entre 50 et 1000 arméniens ethniques.


Pendant les guerres du Haut-Karabagh, de nombreux crimes de guerres, dénoncés par Amnesty International, ont été commis par l’Arménie comme par l’Azerbaïdjan, avec l’utilisation d’armes à sous-munitions, le bombardement de zones civiles, des exécutions extrajudiciaires ou encore le traitement inhumain des prisonniers de guerre. C’est sur cette question du traitement des prisonniers que nous allons nous pencher aujourd’hui.


Dans un rapport de 131 pages intitulé « Why are there no Armenians in Nagorno-Karabakh? », l’ONG Freedom House accuse les forces azerbaïdjanaises d’avoir procédé à des détentions arbitraires accompagnées de déni des droits fondamentaux comme la protection contre la torture ou le droit à un procès équitable. En avril 2024, l’Azerbaïdjan installe un point de contrôle au pont Hakari, en déclarant qu’il servirait à arrêter environ 400 arméniens recherchés. Mais la liste n’a pas été rendue publique, ce qui a contribué à l’instauration d’un environnement de peur, forçant les arméniens du Haut-Karabagh à fuir le territoire. Le rapport détaille plusieurs cas d’arméniens du Haut-Karabagh arrêté puis emprisonnés ou expulsés du territoire azerbaïdjanais après avoir été condamnés pour génocide, déportation ou déplacement forcé de populations, torture (pendant les évènements de la première guerre du Haut-Karabagh entre 1988 et 1994), ou encore pour violation du drapeau national ou de l’emblème d’Etat de la République d’Azerbaïdjan. Le rapport met également en avant les détentions de civils, déplacés de force hors de leur communauté, ayant tous été victimes ou témoins de violences physiques et/ou morales.


Selon différents témoignages de détenus arméniens, les forces azerbaïdjanaises ont procédé à des actes de bastonnades et d’humiliations des détenus civils, arrêtés de manière arbitraire, violant le Droit international relatif aux Droit de l’Homme. L’ONG Freedom House s’inquiète aussi de possibles cas de disparition forcée. En effet, plus de 35 résidents arméniens du Haut-Karabagh étaient toujours portés disparus en mai 2024. Des témoignages indiquent que certains des disparus auraient pu être capturés par l’armée azerbaïdjanaise, mais les autorités affirment qu’ils ne les ont pas en garde à vue. Des recherches pour retrouver les disparus ont pu être menées, mais les forces armées de l’Azerbaïdjan ont interdit l’accès à certaines zones. Ce manque de transparence inquiète les familles des disparus, notamment à cause de la mort de certains détenus arméniens après la guerre de 2021 dans des circonstances similaires.


Dans un rapport du Comité contre la torture des Nations Unies sur l’Azerbaïdjan publié le 5 juin 2024, le comité se dit « profondément préoccupé par […] des violations graves du droit international humanitaire […] commises par les forces militaires azerbaïdjanaises contre des prisonniers de guerre et d’autres personnes protégées d’origine ethnique ou nationale arménienne, notamment des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture et d’autres mauvais traitements, ainsi que par l’enregistrement et la diffusion de vidéos montrant des actes horribles tels que des décapitations et la profanation et la mutilation de cadavres. » Il se déclare également « profondément préoccupé par les opérations dites antiterroristes menées par l’État partie, et notamment par le maintien en détention de 23 personnes que l’État partie accuse d’actes de terrorisme et d’infractions apparentées. » Le Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe a lui dénoncé dans une déclaration datant du 3 juillet 2024 le refus inexpliqué des autorités azerbaïdjanaises de coopérer avec lui, d’avoir des entretiens avec les détenus et d’appliquer les recommandations de longue date du Comité, ce qu’il considère comme une violation fondamentale de la Convention européenne pour la prévention de la torture.


Parmi les prisonniers arméniens détenus aujourd’hui en Azerbaïdjan se trouvent huit anciens dirigeants de l’enclave séparatiste. Capturés en septembre 2023, le procès de seize prisonniers arméniens, dont les huit anciens dirigeants de la République autoproclamée d’Artsakh, s’est ouvert ce vendredi 17 janvier à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan. Accusés notamment pour « terrorisme, » « séparatisme » et « crimes de guerre, » leur procès se déroule sans observateurs internationaux ni étrangers. Un des accusés, Ruben Vardanyan, banquier d’affaires milliardaire et ministre d’Etat en Artsakh de novembre 2022 à février 2023, a déclaré dans une lettre ouverte qui lui est attribuée avoir été victime de mauvais traitements en détention, et de la violation de son droit à un procès équitable. D’après cette lettre, il aurait passé plus de la moitié de sa détention en isolement, et n’aurait eu à disposition qu’un temps très court pour se familiariser avec ses avocats aux 422 pages du dossier pénal en azerbaïdjanais, une langue qu’il ne maîtrise pas. Son avocat, Jared Genser, à lui déclaré avoir constaté des « violations graves aux garanties d’un procès équitable. » Il n’a pu accéder au dossier de son client qu’une semaine avant le début du procès, dossier écrit en azerbaïdjanais et en russe, langues que l’avocat américain ne maîtrise pas non plus.


Dans un communiqué de presse du 17 janvier 2025, Amnesty International appelle la communauté internationale à suivre de près ce procès, pour garantir le droit de Ruben Vardanyan à un procès équitable et à une bonne administration de la justice. Reste à voir si la communauté internationale va répondre à cet appel.


Photo credits: Adam Jones on Wikimedia Commons

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