Anna Halpern
November
La France sous la Vème République est le porte-drapeau par excellence de son régime politique semi-présidentiel. Le pays de la Révolution française a longtemps été fier de porter haut les couleurs d’une démocratie parmi les plus fortes au monde—se plaçant en 23eme position sur l’index démocratique du classement EIU. Mais avec la fin du second mandat d’Emmanuel Macron, les critiques se multiplient, et il semble pertinent d'évaluer si ce régime est vraiment adapté aux demandes démocratiques de la société civile.
Mais qu’est ce que le semi-présidentialisme? Il s’agit d’un régime hybride combinant une élection au suffrage universel du président, typique d’un régime présidentiel, et des éléments du système parlementaire tels que la responsabilité du gouvernement devant le parlement. Il est important de noter que ce système hybride a tendance à créer une surpuissance de l'exécutif; en France cela se manifeste par le chef d'Etat démocratique le plus puissant du monde, sauf en cas de cohabitation. En effet, le président préside le conseil des ministres, ce qui laisse douter de la séparation entre chef de gouvernement et chef d'Etat. En outre, il jouit d’une quasi irresponsabilité sauf en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » ce qui justifierait une destitution, mais cela n’a encore jamais été le cas, bien qu’une tentative déposée par Mathilde Panot ait récemment été abandonnée.
De plus, pour ce qui est de la responsabilité du gouvernement devant le parlement, une seule motion de censure spontanée a réussi depuis 1958, année de l’adoption de la Vème République, et aucune depuis 1962. Depuis, il est apparu que le gouvernement est devenu plus responsable devant le président, ce qui démontre un aspect unique de la culture politique française. Par ailleurs, en France, le Premier ministre est nommé par le président et non par l'Assemblée nationale, ce qui explique le fait qu’une figure telle que Michel Barnier, qui ne représente aucun des trois programmes ‘gagnantes’ de l'élection parlementaire, puisse former un gouvernement technocratique fortement critiqué par l'opposition pour son manque de légitimité au vu du résultat très bas de son parti LR. L'Assemblée nationale qui n’a donc que peu de pouvoir sur le gouvernement et qui peut être dissoute par le président semble très affaiblie.
Néanmoins, il est possible d'espérer que grâce aux résultats divisés des élections législatives de 2024, le parlement reprenne de ses responsabilités en s’opposant plus fortement aux décisions présidentielles, une occasion qui ne s'était jamais présentée depuis le référendum de 2000 qui a écourté le mandat présidentiel à cinq ans et l’a fait concorder avec les élections législatives. De cette façon, les deux élections n’avaient que peu de chance de faire gagner un différend parti. Mais il est tout aussi possible qu’en choisissant un gouvernement bien a droite Barnier essaie de assurer l'acquiescement non seulement du parti présidentiel, mais du RN aussi et que la dynamique d’opposition reste un compromis entre chefs de partis et n’impliquent pas les députés de l'assemblée.
Dans ce contexte, il n’est pas surprenant d'entendre des voix dissidentes. En effet, voir l'inégalité des pouvoirs entre l'Assemblée nationale et le Président dans un pays dont la tradition et les pays voisins sont majoritairement des régimes parlementaires peut faire douter de la viabilité de cette ‘exception’ française. Ce mécontentement a été très audible cette dernière décennie; cela a été mis en avant par les campagnes présidentielles de 2017 et 2022 où LFI a largement porté l'idée d’une VIe République. Cette proposition établirait un régime parlementaire stable rendant le pouvoir au peuple et mettant entre autres fin à la « monarchie présidentielle » et à l'utilisation de mesures de « vote forcé » tels que l’article 49.3. Mais les propositions concernant la VIème république existent dès 1961, avec l’article dans l’Express de Pierre Mendès France en faveur d’une VIème république, et ont fait l’objet de discussions jusqu'à nos jours.
Mais à travers les mandats d’Emmanuel Macron, et surtout depuis son second mandat et la dissolution de l'Assemblée, les questions sont devenues encore plus pressantes, et se sont recentrées sur la figure du président. En effet, Macron a souffert d’une très mauvaise image avec une cote de popularité de 25% et se fait souvent caricaturer comme voulant être le nouveau Napoléon ou encore un « président jupitérien. » La nomination de Michel Barnier et la composition de son gouvernement n’ont fait qu’aggraver ces accusations, le faisant paraître d’autant plus sourd à ce que le peuple a exprimé par les votes. Après avoir choisi seul de dissoudre l'assemblée et ayant refusé de nommer Lucie Castets, candidate du NFP, à Matignon, le président semble avoir perdu tout contact avec le peuple. La situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui alimente les peurs de certains que ce régime, où la figure du président est si forte, ne lui donne un pouvoir trop personnalisé; ce qui pourrait s’empirer avec l'avènement d’un ou une président.e populiste et autoritaire.
Il semble donc que la démocratie française se trouve à un moment critique où la légitimité de son ‘exception’ est mise en doute, et où l'on se demande si la désillusion et la « crise démocratique » que nous traversons ne viennent pas d’un régime créé à une époque où la stabilité manquait grandement. Il n’est plus adapté aux demandes démocratiques et à la société d’aujourd’hui.