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Terres fertiles et défis amers : L’Union européenne et l’agriculture ukrainienne

By Jonathan Smidtas

March

Bon sens paysan ou trahison ?


Tandis que les élections européennes approchent, l’Union européenne a décidé dans la nuit du 20 mars de réinstaurer des droits de douane sur certains produits agricoles ukrainiens. Le pays, un des principaux producteurs mondiaux, avait vu ses exportations vers l’Union européenne grimper en flèche à la suite de l’invasion du pays par la Russie car les taxes sur les importations agricoles ukrainiennes imposées par l’Union européenne avaient alors été supprimées. Depuis, la colère des agriculteurs européens dénonçant une concurrence insoutenable a marqué l’actualité. 


Alors que l’invasion à grande échelle de l’Ukraine a commencé il y a plus de deux ans, il semble de plus en plus clair qu’aucun camp n’est en mesure de l’emporter militairement, sauf retournement de situation majeur. L’on parle déjà de l’après-guerre, de la reconstruction de l’Ukraine et de son intégration à l’Union européenne. Alors que pendant des années les capitales européennes se sont opposées à l‘entrée de l’Ukraine au sein de l’UE, généralement en invoquant la faiblesse de l’état de droit et la corruption qui minent ce pays, une autre raison émerge aujourd’hui : l’agriculture.


Des terres exceptionnelles


Depuis des siècles, l’Ukraine a été surnommée le grenier à blé de l’Europe. Grâce à sa concentration en humus très élevées, les “terres noires” ukrainiennes sont extrêmement fertiles. Aucun pays au monde ne dispose de sols cultivables aussi productifs. Cela constitue un avantage comparatif certain pour ce pays, mais n’a pas été sans tragiques conséquences tout au long de son histoire. L’Ukraine a ainsi été conquise tantôt par les polonais, les autrichiens et les russes souhaitant, entre autres, assurer leur sécurité alimentaire grâce à l’Ukraine. Le pays était avant guerre le premier producteur mondial de tournesol, et dans le top dix pour ce qui est du blé, du maïs, de l’orge et du colza.


Des salaires bas


En comparaison avec les pays de l’Union européenne, l’Ukraine est un pays très pauvre. En dépit de l’héritage industriel de l’époque soviétique, le salaire moyen y est inférieur à 400 euros, sept fois plus faible qu’en France et encore trois fois moins important qu’en Pologne. Les coûts de la main-d'œuvre très faibles permettent à l’Ukraine de proposer des prix agricoles très intéressants sur le marché mondial. 


Un potentiel


L’intégration de l’Ukraine dans l’UE permettrait d’assurer la sécurité alimentaire de cette dernière. Les capitaux et technologies des pays riches transférés en Ukraine entraîneront une hausse de la productivité des terres en dépit des normes environnementales européennes qui devront s’appliquer. La concurrence accrue sur le marché européen causera une baisse des prix de l’alimentation et augmentera le pouvoir d’achat des consommateurs européens. Les investissements d’entreprises agricoles européennes en Ukraine permettront de relancer l’économie du pays après la guerre et la pression exercée sur le marché de l’emploi poussera les salaires à la hausse.


Les craintes


Qu’adviendra-t-il des agriculteurs des autres pays européens ? Ils dénoncent déjà une concurrence insoutenable et craignent d’être les grands oubliés de l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne. Après l’expérience de la désindustrialisation qui a entraîné une hausse du chômage dans les pays de l’Ouest et déstabilisé les sociétés, l’idée de voir le même schéma s’appliquer dans le domaine agricole est effrayante. De plus, concentrer la production agricole en Ukraine, c’est s’exposer à une vulnérabilité si la Russie décidait un jour d’attaquer de nouveau.


Espoirs


Il faudra donc assurer à l’Ukraine des garanties de sécurité afin de pouvoir sereinement y investir. Une démilitarisation de la Russie semblant irréaliste, l’intégration à l’OTAN et le stationnement de troupes occidentales nombreuses sur le sol ukrainien pourraient être une solution. L’agriculture des autres pays européens devra monter en gamme afin de pouvoir faire face à une nouvelle concurrence. La réduction du nombre d’agriculteurs, dont beaucoup ne parviendront vraisemblablement pas à demeurer compétitifs, implique la nécessité de penser dès maintenant aux solutions politiques afin d’éviter une catastrophe sociale. La formation semble être une des clés, alors que les subventions ne feront que créer une distorsion de concurrence inefficace.


L’entrée future de l’Ukraine dans l’Union européenne représente un risque existentiel pour notre modèle agricole actuel. Transformer ce risque en opportunité est possible, mais nécessitera une implication forte des pouvoirs publics afin de repenser l’agriculture européenne. C’est bien plus facile à dire qu’à faire et cela explique pourquoi l’entrée de l’Ukraine dans l’UE ne semble pas être pour demain. Cette entrée soulève de véritables dilemmes. Certains suggèrent d’exclure initialement l’agriculture ukrainienne du libre marché et de progressivement abaisser les droits de douane. Ce serait une façon d’intégrer l’Ukraine dans l’Union en évitant un choc fatal aux agricultures européennes. Néanmoins, assumer de créer une Europe à différents niveaux c’est ouvrir la boîte de pandore. Quant à faire patienter trop longtemps l’Ukraine hors de l’UE, c’est la priver du développement économique qu’a entraîné l’UE pour ses États-membres. Il est dans l’intérêt des démocraties européennes d’avoir une Ukraine développée et prospère à ses frontières afin de contribuer à la stabilité et la paix de la région. Ne ratons pas le coche.


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