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Sommes-nous devenus plus bêtes?

Christy Ghosn

October

Il y a vingt ans, la durée moyenne d’attention sur une tâche ou un écran était de deux minutes et demie. Aujourd’hui, elle atteint à peine 47 secondes. Sur plus de 100 études réalisées entre 2013 et 2023, toutes les conclusions convergent vers une même observation alarmante: l’intelligence humaine serait en net recul. Cette baisse touche divers domaines tels que la recherche, l’invention et même les technologies les plus avancées. Une diminution de plus de deux tiers qui pourrait illustrer ce que certains appellent le phénomène du « popcorn brain. » La cause? Nombreux parlent du danger de la montée des technologies, reflétant la peur de la dépossession des savoirs faire acquis. Une peur, qui est en réalité intemporelle. En effet, les inquiétudes actuelles face à cette montée des technologies ne sont pas sans rappeler les craintes suscitées par l'arrivée d'autres innovations, comme la machine à tisser au début du XIXe siècle. 


À cette époque, les ouvriers tisserands percevaient cette nouvelle technologie comme une menace, plutôt que de la considérer comme une opportunité leur permettant de se concentrer sur leur savoir-faire au lieu d'exécuter des tâches répétitives. Aujourd’hui, ces craintes persistent avec les réseaux sociaux et les outils d'intelligence artificielle, accusés de provoquer un « déclin cognitif. » Peut-on ainsi dire que l’humain devient plus bête? Ou tente-t-il simplement de s’adapter au changement des technologies?


Les réseaux sociaux : la gratification instantanée


Nombreuses plateformes, notamment TikTok, encouragent la consommation de contenus en format court, rendant ces utilisateurs complètement accros à leurs écrans. Plusieurs études rapportent même que les effets négatifs de TikTok vont beaucoup plus loin qu'une simple addiction, étant capable de  modifier la capacité d'attention des enfants et des adolescents. Selon cette enquête, les jeunes utilisateurs qui regardent en boucle des contenus courts sur TikTok ont plus de mal à participer à des activités qui n'offrent pas une satisfaction instantanée.

 

De plus, les utilisateurs de TikTok sont souvent exposés à une version déformée et simplifiée de la réalité, notamment en ce qui concerne l'actualité. Les informations complexes sont souvent réduites à des extraits rapides, sensationnalistes et décontextualisés, ce qui peut fausser la compréhension des événements et nuire à la pensée critique et à la capacité d'analyse des jeunes, les rendant moins aptes à appréhender des sujets plus nuancés. Ce phénomène appelé « cerveau TikTok » par certains experts, dans lequel TikTok devient « une machine à dopamine, »  a alimenté les problèmes de captation d'attention qui accompagnent ces clips. Et selon les chercheurs, ces problèmes ne font que s'aggraver avec le temps.


En parallèle, le concept de « brainrot » émerge, désignant un déclin cognitif associé à une consommation excessive de contenus simplifiés et superficiels. Les utilisateurs de TikTok sont souvent exposés à une version déformée et simplifiée de la réalité, où des idées complexes sont réduites à des extraits rapides et digestes.  Par exemple, même si TikTok peut permettre à son utilisateur d'être à jour sur les actualités ou de gagner en culture, les événements sont souvent résumés en moins d’une minute, ne permettant certainement pas d’aborder la nuance et la profondeur nécessaire sur les sujets traités.


La dépendance aux nouvelles machines


L’essor des outils numériques, tels que ChatGPT suscite de réelles inquiétudes sur ce sujet. En fournissant des réponses immédiates et souvent très complètes, ces outils peuvent nous rendre intellectuellement paresseux en nous incitant à rechercher des solutions rapides sans faire l'effort d'un apprentissage ou d'une réflexion approfondie. La facilité d'accès à des informations prêtes à l'emploi risque de freiner le développement de la pensée critique et de la capacité à résoudre des problèmes de manière autonome.


Nicholas Carr, écrivain et critique littéraire, écrit par ailleurs un article en 2019 intitulé « Pourquoi je ne peux plus lire 'Guerre et Paix', » dans lequel il fait part de ses réflexions sur la difficulté croissante qu'il éprouve à lire des œuvres classiques et volumineuses comme Guerre et Paix de Tolstoï. Il s'interroge sur la perte de capacité de concentration et de patience face aux textes longs, causée par la modernité numérique. En d’autres termes, selon lui, approuver une nouvelle technique serait en désapprouver une autre.


Remettre en question ce déclin cognitif


Cependant, faut-il vraiment parler d’un déclin cognitif? Peut-être ne devenons-nous pas plus bêtes, mais nous modifions les compétences que nous valorisons. Il s’agit ainsi de réévaluer nos compétences. En effet, avec l'essor du numérique, l'accès rapide à l'information, la maîtrise des outils multimédias et la fluidité dans les environnements numériques deviennent des compétences prioritaires. Ces outils ne viendraient ainsi pas remplacer l’intelligence humaine, mais plutôt être son extension. Considérez la calculatrice: en permettant de résoudre des problèmes mathématiques, elle devient une extension de l'intellect de l'utilisateur. Dans le cadre de la cognition distribuée, elle n'est donc pas un simple outil, mais un participant actif dans le processus de pensée.


Il est néanmoins possible de nuancer les propos de  Nicholas Carr. Celui-ci a analysé comment Internet, en particulier Google, a transformé nos habitudes de lecture, contribuant à une réduction de notre capacité à maintenir une attention prolongée et à engager une réflexion en profondeur. Il a noté, à travers ses propres difficultés à se concentrer et à lire des textes longs, une évolution partagée par beaucoup, qui observent également un changement similaire dans leurs pratiques de lecture. Cependant, loin de n’être que néfastes, les outils d'intelligence artificielle peuvent améliorer nos capacités cognitives. Dans ce cas par exemple, en rendant l'information plus accessible et en facilitant la recherche, ces technologies stimulent la créativité et la résolution de problèmes. Aujourd'hui, Google est devenu un outil essentiel dans nos recherches quotidiennes. Nous nous sommes pleinement adaptés à l'utiliser pour obtenir des informations rapidement et efficacement. Pourquoi ChatGPT ne jouerait-il pas un rôle similaire dans quelques années? 


Face aux défis posés par les nouvelles technologies, une chose est sûre: au lieu de nous inquiéter des progrès de l’intelligence artificielle, nous ferions mieux de nous préoccuper du déclin de la nôtre. En espérant qu’il ne soit pas trop tard pour la sauver, la meilleure solution serait de trouver un équilibre entre leur utilisation et la préservation de nos compétences en réflexion critique. L’objet technique devrait uniquement prolonger le corps. En d’autres termes, les technologies ne devraient jamais être perçues comme des substituts à l'homme, mais plutôt comme des alliées, amplifiant nos capacités humaines. Leur véritable vocation est de nous assister, nous permettant de libérer du temps et de nous concentrer sur ce qui fait de nous des êtres humains: la créativité, l'intuition, l’empathie…

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