By Salomé Greffier
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Sur l’air solennel de la Marseillaise et le dépôt traditionnel de gerbes sur la Place de France à la Case Rocher, le 27 février 2024 marque l'installation d’un nouveau préfet à Mayotte, François-Xavier Bieuville. Pour la ministre déléguée chargée des Outre-mer, Marie Guévenoux, cette nomination vise à renouer le dialogue, rompu avec le précédent préfet, entre les autorités publiques et le collectif citoyen “Forces vives”, afin de “garantir l’ordre public et rétablir durablement la paix civile dans le département”. Trouver des solutions durables pour ce territoire traversé par des crises à répétition en termes de sécurité, d’immigration clandestine, d’accès aux biens de premières nécessités, de pauvreté,... devrait être au cœur du programme de l’ancien juriste ayant exercé dans des territoires ultramarins. En effet, alors que le 101 ème département français fait face à des barrages routiers depuis un mois de la part des “Forces vives”, l’enjeu du pouvoir central semble devoir se concentrer sur le rétablissement du dialogue et la prise en considération des revendications mahoriennes. La société civile qui proteste aujourd’hui, accuse l’Etat français d’abandon et condamne le climat d’insécurité palpable sur l’île, ainsi que l’immigration illégale.
Concernant l’insécurité, l’INSEE relate en novembre 2021 que 48% des habitants de Mayotte se sentent en insécurité, principalement dans leurs quartiers, soit cinq à six fois plus que les habitants de l’Hexagone. Un sentiment confirmé par une délinquance d’appropriation élevée dans la région, puisqu’environ un ménage sur cinq a été victime d’au moins un cambriolage ou d’un vol sans effraction. Les logements et biens matériels motorisés (voitures, bus) s’avèrent être les principales cibles des délinquants. Des épisodes plus violents entraînant l’usage d’armes blanches (couteaux, machettes) ont également été répertoriés dans les écoles et les transports publics notamment. Ces agressions sont, le plus souvent, l’oeuvre de jeunes mahoriens organisés en bandes rivales mais demeurent associées au problème de l’immigration illégale.
En effet, l’île de Mayotte, située au cœur de l’archipel des Comores, compte 55% d’étrangers dans sa population. Cette proportion s’explique par l’arrivée massive de comoriens (95% des étrangers) dans le département. La principale motivation de cette migration reste avant tout économique dans la mesure où Mayotte constitue le territoire le plus riche et doté d’infrastructures de services publics plus accessibles que dans le reste de l’archipel. Ces déplacements de population marquent également le 101 ème département français d’un taux de natalité s’élevant à 4,7 enfants par femme en 2022, soit 10 730 bébés de mères domiciliées sur l’île la même année.
Surnommée ‘la maternité’ de la France, Mayotte et ses services publics, avec en première ligne la maternité de Mamoudzou, peinent à faire face à cette explosion démographique. La majorité des nouveau-nés sont issus de parents comoriens souhaitant obtenir pour leurs enfants la nationalité française en invoquant le droit du sol. Une pratique dénoncée par le gouvernement actuel ayant déjà initié l’opération Wuambushu en avril dernier afin d’expulser les migrants illégaux amassés dans des bidonvilles dans l’objectif de faire barrage à la crise migratoire. L’exécutif a choisi de répondre par la force et la destruction à une situation migratoire jugée intolérable et incompatible avec le développement de Mayotte. Or, l’ethnologue Sophie Blanchy rappelle d’une part que les liens entre comoriens et mahorais demeurent étroits en termes de culture, de langue, de religion; la seule distinction les caractérisant se trouvant dans la possession de la nationalité française ou non. D’autre part, la chercheuse avance que, dans cet espace insulaire doté de peu de ressources, la migration a toujours été une nécessité. D'autant plus que le transfert d’argent acquis par le déplacement des individus permet d’alimenter l’économie du département. Ainsi, l’argument nourrit par les discours de la métropole quant au fait que la migration à Mayotte ne serait motivée que par l’obtention de papiers administratifs reste à nuancer. L’article reviendra prochainement sur ce point.
Dans l’immédiat, il semble nécessaire de se tourner vers la récente proposition du ministre de l’Intérieur et des Outre-Mer, Gérald Darmanin, pour couper “littéralement l’attractivité qu’il peut y avoir dans l’archipel mahorais”. Soutenu par Emmanuel Macron, le ministre souhaite assurément endiguer le phénomène migratoire en annonçant le 11 février dernier vouloir réformer les articles relatifs au droit du sol de la Constitution. Ce droit inscrit dans l’article 21-7 du code civil stipule que les personnes nées en France de deux parents étrangers peuvent obtenir la nationalité à l’âge de 18 ans si elles résident en France depuis une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans depuis l’âge de 11 ans. De plus, l’enfant peut dans ce cadre obtenir la nationalité avant sa majorité sur demande de ses parents entre 13 et 16 ans ou sur demande personnelle entre 16 et 18 ans, sous conditions de durée de résidence en France. Ce droit du sol dit “simple” se complète d’un double droit du sol avançant que toute personne née en France ayant au moins un parent français peut obtenir la nationalité dès sa naissance. Dans le cas de Mayotte, c’est le droit du sol simple qui semble être visé par les mesures proposées par Gérald Darmanin. Dès lors, invoquer une mesure d’exception pour Mayotte contournerait le principe d’indivisibilité inscrit dans l’article premier de la norme suprême. En 2018 déjà, Emmanuel Macron s’était trouvé à l’initiative de la Loi Collomb réduisant les possibilités d’obtention de la nationalité française par le droit du sol. En effet, ce texte impose qu’à la date de la naissance d’un enfant né à Mayotte, l’un de ses parents au moins réside en France de manière régulière, sous couvert d’un titre de séjour, et de manière ininterrompue depuis plus de trois mois. Or, les observations montrent qu’en 2022, si seulement 800 mineurs ont obtenu la nationalité contre 2800 en 2018, les problèmes migratoires et tensions internes n’ont pas décru.
Par conséquent, la proposition du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer apparaît inutile voire dangereuse selon les partis de l’opposition. A droite, alors que le Rassemblement National se réjouit de cette mesure, Marion Maréchal Le Pen craint un “appel d’air” migratoire qui pourrait atteindre l’Hexagone. La chef de fil du parti d’extrême droite Reconquête, critique en outre la fin du visa territorialisé qui permettait de limiter la circulation des personnes étrangères en situation irrégulière au seul département de Mayotte. Sur les bancs de la gauche, Manuel Valls, anciennement affilié au Parti socialiste, défend que “cette réforme repose sur le fantasme que le droit du sol est responsable du chaos à Mayotte [... ]on ouvre un boîte de Pandore qui me paraît extrêmement dangereuse dans notre débat national”. En effet, toucher au droit du sol remet en cause des piliers fondamentaux de la République française tels que son caractère indivisible et social. Cette mesure marque davantage encore l’inefficacité de l’Etat français à mettre en œuvre des actions concrètes pour pallier la pauvreté qui divise les îles de la Lune. Alors que l’eau est coupée presque trois jours par semaine, que son prix est assez exorbitant pour que les mahorais en consomment via des systèmes d’approvisionnement vétustes et porteurs de bactéries telles que l’E.coli, le gouvernement s’attache à poser la responsabilité de cette situation sur les étrangers. Certes, la pression démographique implique une prise en charge complexe des services publics sur l’île, mais elle n’est pas la seule coupable d’une crise structurelle plongeant 77% des habitants sous le seuil de pauvreté. Emmanuel Macron se veut rassurant en affirmant que la réforme constitutionnelle annoncée ne fera pas le jeu de l’extrême droite tout en soutenant qu’il reste “très profondément attaché à ce droit pour la France”. Par ces paroles, le gouvernement évite finalement une fois encore de résoudre les problèmes par des solutions et place Mayotte en périphérie de ses préoccupations nationales.