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Extrême-droite : les raisons d’une percée électorale transnationale

By Jonathan Smidtas Schalita

“La peur mène à la colère, la colère mène à la haine, la haine… mène à la souffrance”

Maître Yoda


La politique regorge de mystères. L’un d’eux, parmi les plus importants, est l’explication d’un phénomène à l'œuvre depuis quelques décennies dans les démocraties occidentales. Ce phénomène est l’entrée des partis qualifiés par leurs adversaires d’extrême-droite au centre du jeu politique. Qualifiés d'extrême-droite, mais jamais revendiqués comme tels. L’explication classique est simple : depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et les horreurs du régime nazi, le qualificatif d’extrême-droite est devenu plus que péjoratif. Refuser l’étiquette infâme ne serait alors qu’une stratégie afin de ne pas effrayer un électorat modéré. Poussé à son paroxysme, cela culminerait dans une politique de dédiabolisation consistant non seulement à refuser la qualification d’extrême-droite, mais même à adopter des positions modérées tout en gardant, au fond, un même fil directeur raciste. 


Mais peut-être ne sont-ce là que des idées fausses, fruit d’une vision déformée de la situation politique contemporaine. Réaliser un lien direct entre les extrêmes-droites d’hier et d’aujourd’hui serait alors une erreur. Certes, hier comme aujourd’hui, ces partis se fondent sur l’acharnement contre une population minoritaire, bouc-émissaire explicatif de tous les maux dont le plus important se trouverait être le délitement du pays. Toutefois, le degré de radicalité serait tellement différent qu’il entraînerait un changement de nature.

Affirmer cela serait faire preuve d’une naïveté confondante. Ce serait oublier que l'extrême-droite ne se réduit pas au projet génocidaire hitlérien, mais constitue une famille politique plus large dont les hérauts contemporains ne font que reprendre les thèses traditionnelles. Rejet de l’étranger, projet autoritaire, opposition à la démocratie représentative, complotisme… Les racines sont les mêmes et le danger toujours présent. La majorité des électeurs français l’a compris et vote contre les représentants de l’extrême-droite. Mais ils furent toujours moins nombreux : Jacques Chirac recueillait 82% des suffrages en 2002, Emmanuel Macron 66% en 2017 et seulement 58% en 2022. La baisse représente quand même un quart des suffrages exprimés.


Presque partout en Occident, un même phénomène s’observe : les digues ne s’effondrent pas toujours, mais ne cessent de s’affaiblir. 


Dans un contexte de marasme économique et de questionnement identitaire dans un monde plus que jamais changeant, pourquoi sommes-nous en train de reproduire les erreurs du passé ? 


Différentes explications ont été apportées. L’une, parmi les plus classiques et que l’auteur partageait il y a peu, est la peur — peur de l’immigration ou du déclassement économique. Pour le politologue et professeur à Sciences Po Martial Foucault, dont l’interview joue un rôle central dans la rédaction de cet article, ce n’est pas la peur mais la colère qui explique ce vote. Un ouvrage, Les origines du populisme, appuie notamment cette thèse. Dans différents pays occidentaux, les enquêtes sont formelles : le principal déterminant du vote pour les partis extrémistes est la colère. Simplement, la colère se marie avec une confiance élevée pour les électeurs d’extrême-gauche alors que cette colère s’allie avec une forte méfiance pour les électeurs d’extrême-droite.


La question du déclencheur du vote pour l’extrême-droite n’est pourtant pas résolue. Si la colère est corrélée, est-elle pour autant la cause du vote ? N’y a-t-il pas une variable cachée échappant aux enquêtes statistiques ? Et si effectivement c’est la colère qui entraîne le vote, la question est de savoir ce qui déclenche cette colère. 


Lorsque l’on ne dispose pas de preuves empiriques de ce que l’on affirme, l’appel au bon-sens est souvent utile. Ce dernier permet de trancher la question : oui c’est évidemment la colère qui cause le vote pour l’extrême-droite car cette dernière propose un programme, justement, colérique. En colère contre la mondialisation, contre l’immigration, contre l’Europe, contre les “élites”... Mais de quoi naît cette colère ? Pour répondre, revenons à la citation du vénérable Maître Yoda “La peur mène à la colère”. Effectivement, il est raisonnable de considérer que la peur contient les germes de la colère. Si les étrangers ou la mondialisation sont la source de tant de colère, c’est avant tout car ils provoquent de la peur. Les “étrangers”, la “mondialisation”, c’est au fond très flou, très impersonnel, très inconnu. Et l’inconnu effraie. On nous objectera que nous ne faisons que déplacer la focale analytique sans répondre clairement à la question. D’accord, l’ignorance d’une chose mène à sa crainte, et la crainte constitue le lit de la colère. Mais on ne peut pas affirmer que c’est l'ignorance qui explique le vote pour l’extrême-droite. À moins d’affirmer que les sociétés occidentales sont frappées par une nouvelle épidémie d’ignorance, l’idée ne fait sens. 


Finalement, l’essence du vote pour l’extrême-droite, si elle existe, demeure insaisissable. Mais son fruit reste connu, car la colère mène à la haine qui, elle-même, mène à la souffrance. 


Nous remercions notre professeur de sciences politiques, Martial Foucault pour ses précieuses analyses sur la question du vote pour l’extrême-droite qui ont permis de nourrir cet article et à l’auteur d’affiner son opinion.


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